Le chant magnétique de Gita Mehta
Certains livres vous envoûtent dès la première phrase. Narmada Sutra, de l'écrivaine indienne Gita Mehta est de ceux-là. Au départ l'histoire d'un haut fonctionnaire de Bombay. Après la disparition de sa femme, il accepte un poste subalterne dans l'Inde centrale, au bord de la rivière Narmada, alors que tout le poussait à faire carrière. Cette rivière, bénie par Shiva, est l'une des plus sacrées de l'Inde. Des pèlerins y affluent de partout : "Un seul coup d'oeil aux eaux de la Narmada est censé suffire à laver un être humain de générations entières de naissance dans le péché." En sanskrit, "narmada" veut aussi dire putain.
Devenu gérant d'une maison d'accueil gouvernementale, le narrateur s'est retiré du monde dans un bungalow, à côté de cette rivière qui occupera bientôt tout son esprit. Il rencontre d'étranges personnages, en rupture de société, comme lui, mais qui ont poussé bien plus loin leur distanciation et leur renoncement au réel. Un moine, fils d'un riche industriel, qui a choisi de nier sa vie, et pratique l'ascétisme jusqu'au dégoût de lui-même. Un maître de musique qui s'accuse d'un crime qu'il n'a pas commis. Un cadre en plein délire que seule la rivière a le pouvoir de guérir, etc.
Ces personnages, fiévreux et énigmatiques, attirent le narrateur. Leurs élucubrations, qu'il recueille comme autant d'enseignements sur la vie, rejoignent ses propres interrogations métaphysiques. Un vieux mollah le prévient : "Ces gens là passent dans notre vie comme l'eau qui court. Nous ne les retrouvons jamais." Chaque rencontre, chaque témoignage, l'entraînent pourtant d'avantage vers les mystères de la rivière. Un embarquement dans les méandres de la mythologie indienne et de ses multiples croyances. Parcours initiatique aussi, avec, au bout du compte, la question du rapport au monde et aux autres.
Après La Maharani, paru pour la première fois en France aux Presses de la Renaissance (1989), Gita Mehta expose ici son écriture, d'une grande richesse hypnotique et enivrante. Le récit, qui est également une réflexion sur la vanité humaine, rebondit sans cesse. Dans cette quête de la spiritualité, on a parfois l'impression d'être sur une autre planète.
Ce n'est pas tous les jours que l'on peut écouter le chant magnétique des déesses, en Inde, sur les bords de la Narmada. Avec, tout de même, cet avertissement : "L'homme est la plus grande des vérités. Rien ne le dépasse."
Stéphane Vallet
Photographies Vincent Mermé
Githa Mehta, Narmada Sutra, Le Livre de poche, 1999.
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