LES MONOLOGUES DU FOETUS
Dans L'endormeuse, son huitième roman, Jacques Vallet fouille sa mémoire, et dans notre mémoire collective; et au delà, dans les pièges inconscients qui nourrissent toutes trajectoires humaines. Edmond Hort, peintre raté, un brin pessimiste, débarque à Ivoy, dans la Meuse, à la recherche de ses origines. Étrange étranger à lui même, il s'appelle en réalité Edmond Duncourt, une famille du pays, au sombre passé, dont il vient retrouver la trace. Il n'a jamais connu son père, et Marie Duncourt, sa mère, a emporté avec elle le secret qui, durant toute son existence, l'a plongé dans la mélancolie. Fille mère, à l'entrée de la guerre, Marie est prisonnière de son chagrin. Né en février 1939, juste avant la déflagration mondiale, Edmond Hort est un enfant de la guerre. Une guerre intime, tout d'abord, qui se mêle à la grande boucherie des hommes, et aux massacres qui se perpétuent sur la planète.
Son arrivée à Ivoy, près de Verdun, soixante ans plus tard, coïncide avec le déclenchement de la guerre du Golfe. Au Cheval-Blanc, l'hôtel où il va séjourner, il est accueilli par Louis Jupille, propriétaire de l'hôtel, infirme en fauteuil roulant, qui l'accueille avec hostilité. Car Edmond Hort, enquêteur singulier, dérange. Il a toujours eu la sensation de déranger, comme si l'échec qui a guidé sa vie, et son sentiment d'être différent, avaient commencé ici, avant même sa naissance. Il rencontre aussi Marie-Louise, vieille paysanne, qui a autrefois élevé son paria de père, avant que celui-ci ne disparaisse dans des conditions mystérieuses, et dans une conspiration des silences. D'autres personnages surgissent aussi, comme des ombres. Tous finiront, au fil de l'enquête, par lever un peu du secret.
Parallèlement à l'enquête de son narrateur, Jacques Vallet dissèque les années 1938-1939, chargées de lourdes menaces (lente montée vers la guerre, et écrasement de l'Espagne républicaine, avec la complicité des démocraties), et donne aussi voix à l'embryon, puis au foetus de celui qui deviendra Edmond Duncourt : "Déjà dans mon cerveau des informations chimiquement codés font de moi un réfractaire. Un être à part. Unique. Monstrueux sur bien des points. Monstre de curiosité, de regards, d'écoute (je l'ai dit, je le répète). Je m'intéresse en permanence à ce qui constitue au plus profond de mon être, l'âme, et, en même temps, je me prépare à percevoir subtilement, jusqu'au moindre détail, la vie sous toutes ses formes." Le foetus s'habitue à la voix de sa mère : "Une voix fragile de petite fille, gaie, alerte, chaleureuse." Puis, plus tard : "Je la sais seulement inquiète, tendue, craintive. Incertaine. Vraiment, elle traverse une mauvaise période. Moi aussi. Je ressens un climat d'insécurité."
Une triangulation narrative, recherche du père et de la mère, rythmé comme un thriller. Un héros réfractaire, victime d'une conjuration des regards, dans un monde qui n'accepte pas le droit à la différence. Dans L'endormeuse, roman des bords de Meuse, les tumultes du monde font écho aux déchirements intimes. Un roman d'autant plus émouvant pour moi, qu'il est écrit par mon père, et qu'il m'est dédié, ainsi qu'à ma soeur, Gwenola.
S.V.
L'endormeuse, Le Cherche midi, 2007, 19 euros.
(Illustrations Léonard de Vinci.)
EXTRAITS DE PRESSE
"Cette histoire de près de 500 pages est comme un formidable état des lieux d'une époque qui va faire basculer le monde dans un précipice. L'art de Vallet est de marier ces deux chaos, celui du héros et celui du monde, en une aventure personnelle qui nous bouleverse. C'est le constat d'un moment d'Histoire où la raison a fait naufrage. Cependant la Meuse coule toujours dans son effrayante éternité..."
André Rollin, "Le Canard enchaîné", 18 avril 2007.
"Jacques Vallet excelle dans la chronique quotidienne des paysans, dans la description de cette France profonde et de ses paysages de campagne. Dès le départ, l'eau : la Meuse imprègne l'atmosphère du roman comme le liquide amniotique dans la cavité utérine. Car, avec une virtuosité sans pareille et véritable défi pour un auteur homme, celui-ci nous plonge dans le mystère mythologique de la grossesse, donne la voix à un foetus et nous livre un superbe personnage de femme. L'émotion surgit des pages consacrées à la naissance de l'amour vécu comme un éblouissement chez une jeune fille d'antan."
Sylvie Cohen, "La Marseillaise", 27 mai 2007.
"La force du texte de Jacques Vallet, écrivain et critique d'art, tient dans sa forme. Il l'a bâti en trois étapes qu'il alterne tout au long de ces 450 pages fortes (les impressions d'Edmond pendant les sept jours passés dans la Meuse; la "description" de sa vie dans le ventre de sa mère; l'évocation de cette période historique qui conduira à la guerre). Mais, c'est surtout l'écriture qui donne à l'ensemble ce sentiment rare : la beauté existe aussi dans la résignation."
Mohamed Aïssaoui, "Le Figaro", 30 mai 2007.
"En 1938, dans la Meuse, la population était invitée à lutter contre les doryphores, par voie d'avis en mairie. Une invasion d'autres doryphores se préparait. Jacques Vallet nous rappelle que la France n'est pas à l'abri de certains insectes nuisibles qui ont figure humaine."
Jean-Claude Pirotte, Le Nouvel observateur, 7-13 juin 2007.
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