Souffle au cœur
UN
J’attends le docteur avec maman.
Un rai de lumière traverse les voilures de la salle d’attente. Les murs sont blancs, comme dans un hôpital. Maman porte un chignon qui lui donne l’air sévère, et des lunettes d’écaille. Elle feuillette un exemplaire de Jours de France, avec Jacqueline Kennedy en couverture, tout en suçant son pouce, comme à chaque fois qu’elle s’inquiète. Je m’approche de la fenêtre, et écarte les rideaux.
La rue Anna de Noailles est déserte.
Je voudrai m’enfuir d’ici.
Sauter par la fenêtre.
Des difficultés à respirer.
Mon cœur se tord sous ma poitrine.
Ma pompe s’emballe.
Badaboum, badaboum.
Il ne se passe rien.
Pas même la mort.
*
Je m’appelle Bob et j’ai douze ans.
Le cardiologue porte le même prénom que mon père. Costume sombre. Mine austère. Il sort une petite fiche en bristol de son tiroir.
Je le regarde prendre des notes à l’encre bleue. De longs doigts, une alliance. Ses mains ne tremblent pas.
J’ai un souffle au cœur.
Le docteur interroge maman.
- « Rhumatismes articulaires, quand il était plus jeune !?
- Je ne crois pas.
- Angines fréquentes ?
- Non, non… !
- C’est congénital, sans doute ! »
Il se retourne vers moi. Et me désigne une autre pièce, au bout d’un couloir.
« Nous allons pratiquer un électrocardiogramme. Allez-vous déshabiller, jeune homme ! Je vous rejoins dans un instant. »
Je range mes vêtements sur un valet de nuit. Je ne garde que mon slip kangourou. Mes bourses dépassent un peu. Les volets qui donnent sur la rue sont fermés.
En attendant le cardiologue - je crois qu’il parle avec maman -, je regarde autour de moi. La pièce où je me trouve maintenant est neutre, sans aucune décoration. Mes yeux tombent sur un meuble gris métallisé. Toutes les fiches de patients y sont classées par ordre alphabétique, comme dans une bibliothèque. Je me demande soudain combien sont déjà morts.
Je vais avoir ma fiche, moi aussi.
Envie d’ouvrir les tiroirs. De consulter les fiches. Et de déchiffrer l’encre bleue du docteur.
Je me chante une chanson pour me donner du courage.
Sa voix me fait sursauter.
Il me demande de m’allonger sur une table médicale recouverte d’un papier blanc afin de pratiquer ce foutu électrocardiogramme. Mon cœur bat à cent à l’heure. Badaboum, badaboum. Il m’examine méticuleusement avec un stéthoscope. Il prend ma tension.
Je m’allonge, je me lève, je m’allonge.
Il barbouille ma peau avec une pommade, puis pose les électrodes. Je ne dois absolument plus bouger. La machine crache bruyamment un long ruban de papier.
Il m’entraîne dans la salle de radiographie. Tout est sombre et obscure, comme dans une salle de cinéma miniature. Je pose mon torse sur une vitre froide. Je dois changer plusieurs fois de position.
Il me dit de me rhabiller et retourne dans son bureau. J’enfile mes vêtements à la hâte, en essayant d’entendre ce qu’il raconte à maman. J’ai envie de pisser, mais je me retiens, et les rejoins illico. Maman a enlevé ses lunettes, et elle les mordille. Je jette un œil tout autour de moi. Les étagères sont chargées de livres.
Le cardiologue décrypte en silence les rouleaux de l’électrocardiogramme et les annote au stylo plume Mont-Blanc.
« Malformation cardiaque, dit-il. Insuffisance aortique. Rétrécissement de l’aorte ascendante. Et votre valve aortique fuit. »
(Il toussote.)
« Beaucoup ! »
(Il cherche mon regard.)
« Votre cœur, continue-t-il, ne pompe pas assez de sang pour satisfaire les besoins de votre corps. L’insuffisance va s’aggraver, progressivement, avec le temps… A terme, il faudra vous opérer à cœur ouvert, et vous greffer une valve cardiaque artificielle. Mais c’est encore trop tôt, pour décider d’une ligne de conduite à tenir. Nous allons devoir attendre. »
(Mes yeux ne se détournent plus.)
« Il peut y avoir aussi un risque de mort suce bite, euh, subite… On va vous dispenser de sport de compétition, et il faudra éviter de trop violents efforts. J’écris une lettre à votre médecin de famille. Vous devrez revenir me voir une fois par an. Et rassurez-vous, les statistiques sont formelles : une telle opération n’est pas plus dangereuse qu’un Paris-Nice... »
Il sert ma main fermement, puis celle de maman.
Je m’appelle Bob et j’ai douze ans.
On veut m’ouvrir le cœur.
Paris-Nice, mon cul !
Stéphane Vallet
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