Après s'être chauffé la guerre civile à blanc pendant des semaines et avoir fait résonner fort au monde la boite de trouille en métal qui lui servait de Débat National, après que ses vieillards borgnes et les prétendants aux rôles à suivre eurent pesé solennel le pour d'une révolte qui sème concorde et ordre incontestable et le contre d'un Ennui vérrouillé par le Consensus Sacré bientôt contré par "la joie de Décembre" qui donnerait à chacun - à l'exception de ceux qui n'ont pas d'Etre parce que démunis de preuve administrative de lui - la possibilité de vivre quelques jours dans la peau d'un agissant visible, un acheteur, le Pays, ses éminences et majorités, avaient tranché : par le bienfait de la Séparation des Pouvoirs, on avait restauré d'une main une loi comme un meuble, enlevant une planche inutile qui aurait pu rendre quelques menuisiers furieux, armoire massive dans laquelle on pourrait, au besoin, foutre l'essentiel des troupes d'une nouvelle razzia sociale envieuse, c'était l'Assurance ; d'une autre main on avait versé la prison dans un nombre de vies incalculable, c'était la Punition ; d'une troisième on avait dévisé blagueur sur une Nouvelle Egalité des Chances ou le Respect pour Tous, on avait reçu les lecteurs de tel canard de rue citoyen, les enfants d'ici, les parents de tous, on avait bavé éducation, prévention, colère, coups de ceinture et ascenseur social, c'était les Promesses ; enfin, d'une quatrième quinte de doigts, on cachait les civils blessés, les mois de geôle, les casiers judiciaires, le nombre de mètres dont s'étaient enfoncé dans la merde la tête de mecs de la jeunesse du Pays, la jeunesse invisible, vivante du Pays, on cachait les corps perdus et les passés coupables politiques, les traînées vulgaires de poudre, coups, gaz et menottes, l'injustice de tribunal, c'était la communication ; derrière cette façade à étages, à l'intérieur de ces mains qui se topaient l'une l'autre comme si quelque chose s'était gagné, la Société et son Etat n'avaient qu'une voix, qu'un visage où la Justice n'existait pas plus que son indépendance, pas plus que l'Information et sa matrice merde, la Transparence, l'Information dissimulait, montrait, coupait, avait causé déontologie en un coin où la caméra regarde le ciel et décidé, aux noms de principes rares en ces lieux, le bannissement des enregistrements visuels privés, la Transparence, comme depuis quelques années sur le continent, s'occupaient des Victimes, les accompagnait dans leur douleur, en interrogeait des potentielles qui l'ouvraient grands sur leurs craintes, l'Information voulait informer et, à ce titre, avait cherché toutes les victimes de l'Emeute, montré des flics, des flics et des flics, des en uniformes souples, des en carapace, en képi, casqués ou même tête nue quand ils n'étaient pas bleu, des en voiture, à pied, à vélo, en boîte de six, douze ou vingt-quatre, l'Information avait montré des flics qui ne parlaient mais s'agitaient, comme leur chef, se mobilisaient autant que faire se peut sous la caillasse, les flics aussi étaient des victimes mais eux cherchaient des coupables, ils en avaient trouvé des paquets.
Bien sûr, dans le Pays, de la cinquième main ou Société Civile, des voix s'étaient élevées, émues, contre ces trombes d'ordre éclaboussant l'honnête syndicaliste, le fumeur de joints très occasionnel, les gens sains en général, et s'en allaient proposer, du haut de leur respectabilité légitime, un nouveau dialogue, une démocratie retrouvant ses vertus, on appelait à voter, au calme, à la mesure, à l'humilité, à l'effort et la responsabilité, bref, à attendre son heure, c'était l'Indignation ; ces organes sympathiques se tairaient sans tarder, satisfaits d'avoir été entendus par ceux qui voulaient bien les croire ; un jour les voix seraient blanches et sèches et crieraient au beau milieu d'un désert, celui qui aura remplacé la Démocratie d'Opinion Politique par la Démocratie d'Opinion contenue aux académies artistiques kitsch tristes à pleurer, aux mirages d'une réussite qui commence à la Loterie Nationale, passe par le succés topless en couverture de papier glacé d'ordure et finit à l'extérieur du pied droit d'un fils d'immigré convenable et laïc, à un cinéma dont le système d'exploitation était devenu complexe nécessitant en cela la somplification extrême des contenus - pourtant le film de Monsieur Garrel Les amants étrangers d'une beauté stupéfiante aux yeux pour une fois réunis de l'Oeil traitait sombre une révolte bourgeoise et passée qui vivrait son décès dans l'amour noir, l'errance opiacée puis au mieux la Mort, au pire dans l'ascension sociale - déjà -, le reniement, le cynisme, la lâcheté, plus tard le choix, politique, de croiser fier contre l'Impot, la délinquance, l'oisivité, le sale plaisir, ouais pourtant de tels films existaient et il y avait bien des choses qui pourraient être faites, filmées et montrées Combien de films sur les territoires morts du Pays, combien d'hommes vus dans leur manège, leur vie absente, leur Ennui, le Majuscule Ennui qui les sclérose (1), combien de rendus pour combien de vols? Nul n'a le droit de montrer la pagaille, le refus, le bras d'honneur! Ceux qui veulent le faire existent, Versa, mais ils ont perdu la Guerre des Images, et Monsieur Garrel est une sorte d'exception qui confirme une sorte de règle !-, au forum d'opérette où les voix sont silence et les oreilles d'apparat.
Au Pays comme ailleurs, à ces heures d'hiver comme à toutes celles à venir, l'ordre, qu'il fut intime ou qu'il s'impose par les mains d'autres, finissait toujours par triopher sur l'agitation, l'éclatement, la discorde ; au Pays, les révoltés d'hier avaient vendu le désordre à la découpe et craignaient une guerre en creux qui n'existait pas, les rebelles d'alors qui voulaient détruire les prisons, l'argent et le système avaient installé la Révolte naissante dans de nouveaux pénitentiers et leur Voix Votante et Pouvoir d'Achat dans les centres des villes où ils allaient pouvoir jouir leur Noël en toute clarté, plus loin, au pied des sapins de ciment, des enfants préparaient leur mort jeune sans savoir : ils n'avaient rien, ils n'auraient rien.
mathieu diebler
(1) Léo Ferré, A toi.
Collage Stéphane Vallet
M'sieur, c'est pas loyal d'écrire des histoires comme ça. Non, c'est pas loyal ! D'abord, ça me rend envieuse, et puis ça m'atteint sur deux plans : ça creuse ma Soif, tout en me désaltérant. C'est comme j'vous l'dis, M'sieur, c'est pas loyal !
Rédigé par : l'assoiffée | 27/12/2005 à 18:42
C'est vrai la loyauté est un défaut que je n'ai pas trop, je rigole. Ce qui n'est pas loyal, c'est que le film de Philippe Garrel (qui a eu le prix Delluc, succès donc encore après Venise... De la critique) ne porte pas du tout le titre Les amants étrangers mais Les amants réguliers, ce qui dénote une incompétence certaine de l'observateur Oeil qui, s'il avait pensé plus du dixième de ce film, n'aurait pas fait cette erreur... Pour arracher pardon, en ajout au texte Déclin d'Oeil, phrase de Garrel : «La fascination de jeunes cinéastes pour l'immersion en commissariat, ce goût du polar social qui restitue des flics humains, je trouve que c'est dangereux. Je me demande si ce n'est pas là un mauvais aspect de cette influence écrasante qu'exerce encore Pialat sur la jeune génération.»
Loup fuyant
Rédigé par : Loup Très | 30/12/2005 à 05:32