Compte-à-rebours
Tu glisses sur les images fatiguées du monde, qui défilent sur des écrans démultipliés, comme des éventails agités de spasmes, que l’on déploierait au-dessus du ciel enfumé. La tension est perceptible au-delà de ces images enchevêtrées, qui semblent t’hypnotiser, et te laissent étendu et hagard sur ton canapé défoncé. La machine à laver fait trembler les cloisons de ton appartement en résonance avec le fracas du dehors. Une bougie, à moitié consumée, donne à l’atmosphère tamisée des lieux, un parfum de veillée funéraire.
Tu es réveillé depuis l’aube.
Des corbeaux noirs survolent ton quartier en croassant.
Les devantures des échoppes sont cerclées de fer. Une pluie froide et fine tombe sans interruption sur la ville. Des échauffourées éclatent et des barricades s’échafaudent. Les véhicules blindés de la gendarmerie s’engagent sur les boulevards, entourés de colonnes des forces mobiles. Charges policières et tirs de Flash-Ball ; le bruit assourdissant des grenades se mêle aux gémissements de sirènes de police. L’atmosphère est saturée d’odeurs de poudre. Tu vérifies en permanence le déroulé des événements sur tes écrans de contrôle. Un hélicoptère rase les toits de ton immeuble, tournoyant avec fracas dans la nuit.
Tu glisses sur les images fatiguées du monde, comme un zappeur à fleur de peau. Tu as pris tes quartiers d’hiver. Un vieux transistor débite les informations en continu. Les nouvelles qui irradient du monde entier accentuent la tension à l’intérieur de toi. Tu fumes des cigarettes roulées à la main. Températures en chute libre. L’appartement est enfumé. Tu ouvres en grand les fenêtres, et l’air glacé du dehors s’engouffre dans ton deux-pièces. Les sirènes de police redoublent d’intensité. Le quartier est bouclé. L’hélicoptère clignote au-dessus de ton immeuble.
Tu glisses sur les images fatiguées du monde, et ces images te renvoient en miroir les reflets de ta propre décrépitude. Un incendie s’est emparé de toi. Tu laisses ta parano s’épanouir, comme dans un mauvais trip. La fumée bleue te grise à peine. Le compte-à-rebours a commencé.
S.V.
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