Chasse au tigre
Elle te mate du coin de l’œil, en essuyant ses larmes. Son regard insistant te donne une idée assez précise du naufrage à venir. Ce sont des yeux de folle, et ils te renvoient à l’image de ta propre folie. La pulsion animale est devenue mortifère. La tigresse se recroqueville sur le sable, à l’une des extrémités de la cage, près de la porte entravée par des chaines. Le silence s’est installé entre vous. C’est à qui dégainera le premier. Tu attaques frontalement, mais la tigresse plus futée te feinte, et tu t’effondres au centre de la piste, comme transpercé d’une balle en plein cœur. Lorsque tu reprends tes esprits, plus personne autour de toi. Elle s’est échappée de la cage.
Les promeneurs te jettent des cacahuètes. Ce n’est pas kermesse tous les jours. Tes ruminations t'entraînent aux quatre vents. La course poursuite est perdue d’avance. Ton esprit est en dérangement, ballotté par les flots amers de la mélancolie. De troublantes similitudes dans ton comportement se répètent à l’infini, comme si ce gouffre sans fond se perpétuait en dehors même d’un principe de réalité élémentaire, au-delà de mots souffreteux, dans l’incandescence de cauchemars anciens. Cette situation perdure depuis la nuit des temps, dans une conjugaison convulsive. Le schéma narratif est connu de tous les aficionados du mouvement circulaire. La mise en abime est un jeu dangereux. Les criminologues semblent à l’affut du moindre indice comportemental. Il suffit d’autopsier les corps pour entrevoir la saveur du tout dernier voyage. La scène du crime est une chambre des échos de ton propre cœur. La morgue en est le supplément d’âme. Les lumières verdâtres, qui se reflètent dans le miroir, donnent à ton visage un soupçon d’accent gothique. L’illusion n’est qu’éphémère. Des projecteurs se braquent soudain sur toi, comme si tu étais devenu le centre du trou du cul du monde. Les sirènes hurlantes des voitures de police et des ambulances, relayées en direct live par les caméras de l’information continue, donnent à cette scène originelle un caractère d’apocalypse. Tu distingues dans le ciel un ballet d’hélicoptères, comme un essaim de guêpes, tournoyant sans fin au-dessus de ta tête. Il te reste à entrevoir rapidement une stratégie de fuite. Tu peux toujours courir pour que l’on vienne à ton secours !
"Il suffit d’autopsier les corps pour entrevoir la saveur du tout dernier voyage."
Tu t’en balances, au bout du compte, de ces déclinaisons, qui te ramènent au cœur même de ta propre dislocation. Le caractère pathologique de tes dérives carnassières ne fait plus aucun doute. Il suffirait peut-être de s’allonger sur un divan, pour faire surgir une parole rédemptrice, et s’éviter le chemin de l’ultra violence. Tes élucubrations pathogènes te poussent à la métamorphose. La transformation est à l’œuvre, comme un poison qui s’insinue, jusqu’aux tréfonds de ton esprit. Les profileurs n’ont qu’à bien se tenir ; engoncés dans des imperméables aussi crasseux que leur âme, ils ressemblent à de pitoyables épouvantails à moineaux, qui font – c’est déjà ça ! - bien marrer les enfants. Il te faut sortir de la nasse, inventer une manœuvre souterraine, pour t’extraire de ce piège. Pas toujours aisé de se glisser à travers les mailles du filet, où ces pulsions t’emprisonnent. Les histoires que l’on se raconte complaisamment sont de funestes ruminations. La position victimaire est une pirouette peu habile, qui plait beaucoup aux poètes maudits, mais ne permet au mieux que de s’ouvrir les veines. Ces délectations masochistes apportent au sujet des poussées de dopamine ; elles lui évitent cependant de véritables introspections. Après tout, c’est toujours à cause des autres.
La chasse au tigre est déclarée.
Stéphane Vallet
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