Les ombres se sabordent
Dans la posture du vague à l’âme, on distingue des déclinaisons hasardeuses, agrémentées de plaintes en écho, avec des soupçons de malfaisance. Les pirates mélancoliques excellent en jeux de mains, de préférence sous le manteau, afin d’agrémenter les fins de soirée, avant le banquet des cannibales. Et le sang envahit les écrans de contrôle, une marée d’hémoglobine qui emporte ce qu’il reste d’illusions, dans le fracas des fusillades. Chacun sa cible, en vérité. Les petites salopes du crépuscule adorent arracher le cœur des écorchés vifs. Il ne suffit pas de porter des colliers de perles, pour être la reine du bal. Les liens s’évaporent dans les aubes glacées. Personne n’attend personne, derrière les portes vite refermées.
Et l’on tente de retrouver le fil dans le labyrinthe, les yeux bandés, comme un condamné. Des mouettes sans visage vous escortent, dans d’extravagants ricanements. Les infirmières se penchent à votre chevet, pour mieux sucer le sang. Vous approchez des entrailles du crime, la tête lestée de médicaments. L’imaginaire est un refuge crépusculaire. Des mains gantées s’enfoncent dans votre chair. Vous perdez le goût du voyage, éclaboussé d’étincelles. On pose votre torse sur un billot, pour le découper à la scie électrique, dans une absence totale de circulation. Des guirlandes dégingandées s’enroulent autour de la perfusion. Pas le moment de changer son fusil d’épaule. Il n'y a pas de balles à blanc.
La morphine adoucit les paysages démembrés, et permet de composer avec la mélancolie, mais laisse un goût amer dans la bouche des derniers combattants, occupés à ronger leurs freins, avant le saut d’obstacles. Le dégoût remonte des bas fonds. Chacun se grime pour la circonstance, un fusil à pompe pointé sur le voisin. Et le doute s'insinue dans d'hirsutes bravades. Le pays est vaste pour les condamnés à l'errance. Les émissaires de la mort, sont planqués au quatre coins de l'échiquier. Certains, en pleine crise d'identité, retournent l'arme contre eux même, sans livrer de bataille. Des yeux sombrent, plus aucune flamme. C'est le ballet des égarés, au cœur de la nuit. Une ambulance passe en rasant les vitres. Le mugissement de la sirène déchire le silence. Des ombres se faufilent dans le cerveau des fous. Une course s'engage, chacun pour sa survie.
Dans le brouillard, il faut remonter le courant, ne pas suffoquer. Les littérateurs ont des gestes d'assassins, et l'élégance remisée au vestiaire. On se repasse le film, toujours la même déclinaison intérieure. On en revient à la survie élémentaire, avec l'énergie d'un samouraï, avant la cérémonie du thé. Un télescopage de vibrations contradictoires, afin de déambuler pour de bon, en lisière de chaos. Ceux qui ricanent sont fusillés. En temps de crise, il ne sert à rien d'économiser les balles.
Les souvenirs se mélangent dans un magma de circonstances, au détour de cauchemars évaporés, d'où surnagent des relents de mauvaises consciences ; l'enfance, toujours en embuscade, déborde de partout, et les répétitions sacrificielles excitent la libido des littérateurs. A ceux qui croient avoir un destin, il convient de ne pas se défenestrer trop tôt. Il arrive de croiser son fantôme sur un lit d'hôpital. Ce n'est ni vous, ni un autre, qui fait face au miroir. Les ombres se sabordent. Un fil invisible vous relie à la vie.
De la poussière, sur le bord des trottoirs, que le vent viendra effacer. Des lueurs perdues, au petit jour. Il n'y a plus de sortilèges. Juste un cortège de vagues alarmes. Chaque jour se décompose, dans de rances besognes. L'amour est une invention calibrée. En regardant au delà des mots, il est possible de percevoir un kaléidoscope d'images, aux relents d'épouvante. Ce n'est qu'un théâtre d'ombres. Chacun se terre, au creux d'un imaginaire. Il est illusoire d'attendre des consolatrices. Il ne reste que des écrans, devant lesquels on se vautre.
Stéphane Vallet
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