No pasaran!
SYLVIE GRACIA : GÉNÉRATION(S) PERDUE(S)!
Attention, talent! Avec Une parenthèse espagnole, son cinquième roman, Sylvie Gracia, mêle, comme puzzle éparpillé, fantômes et survivants de la génération 59 - ceux nés à la fin des années cinquante, ou au tout début des années soixante - ; et ceux, oubliés, des Républicains de la Guerre civile espagnole, qui fuirent le franquisme, et son cortège de massacres, pour se réfugier en France. Deux générations perdues! Pour cela, Sylvie Gracia se glisse dans la peau d'un homme. Le narrateur, né en 1959 fraichement débarqué de Montpellier, est prof de lettres, en banlieue parisienne. Parfois il a "le cœur sombre". Il vient de se séparer de Florence, sa compagne, rencontrée en 1987 (mère de leurs deux ados de filles). Et a une liaison avec Esther, collègue plus jeune que lui. Il roule en décapotable rouge, les yeux rivés dans le rétro. La mort de Luz - amie et amante de jeunesse - qui fut une étoile, avant de décliner, puis de sombrer dans l'autodestruction et l'alcoolisme, l'entraine dans une quête identitaire.
("J'avais vingt ans en 1979 et, dans cette décennie finissante, les utopies qu'avaient cultivées les génération optimistes nées après-guerre se désagrégeaient, mais nous ne le savions pas. Nous voulions encore en être, forger une nouvelle humanité espérions-nous, d'autres rapports et d'autres désirs. Nous voguions sur la queue d'une comète qui fonçait dans l'inconnu du prochain millénaire et nous étions aveugles, croyant pouvoir encore inventer alors qu'il nous faudrait, bientôt tenter de préserver quoi? Pas grand-chose, peut-être simplement quelques espaces intimes pour ne pas sombrer." Pages 17-18)
Le narrateur rencontre Luz, fin des années 70, à Montpellier, jolie et sexy eurasienne, issue de la guerre d'Indochine, histoire tourmentée. A l'époque, il vit dans le sud de la France, avec une "communauté d'amis", dont Fred, fils d'un pied noir d'Algérie, avec qui il garde toujours contact ; et d'autres également, aujourd'hui "éloignés" : "Des frères et des sœurs d'âme.", comme on disait. "Au sein de cette communauté, écrit Sylvie Gracia, Luz avait un statut à part." Et de préciser : "Je revois Luz passer la porte, talons hauts, son jean moulant son petit cul. Allant d'une pièce à l'autre, déhanchée, tapant sur la tête de chacun, se moquant de notre nonchalance, des cendriers pleins de mégots. Elle travaillait comme secrétaire médicale, gagnant sa vie dès le bac en poche, loin du village et de la famille. Elle n'appartenait pas à notre cercle d'étudiants, elle s'y était intégré par le biais de copines féministes. (Pages 81-82) " Entre Luz et le narrateur, une liaison torride, d'une seule nuit, à Barcelone, va sceller un pacte, et un secret. En réalité, Luz, n'est pas son vrai nom... En espagnol, Luz signifie "lumière". C'est aussi "perdre", en prononciation anglaise (Lose ou loose). L'ombre, et la lumière.
Et il y a Evaristo, autre personnage central du roman, celui que le narrateur appelle "mon père", puis "papa", à la fin du récit, lors d'un voyage en Espagne sur les traces de son enfance. Profitant des vacances, le narrateur embarque son père, et ses deux filles, dans la Mercedes paternel, à la recherche d'un passé qui ne passe pas : la guerre civile espagnol, et la dictature de Franco. Trois génération, pour qui ce voyage, n'a pas le même sens, mais qui les réunira par la parole. Roman bouleversant, sous haute tension ; écriture ciselée, sensuelle, et poétique (politique aussi). Un roman "stylé", comme dirait mon fils, et les ados d'aujourd'hui. Une autre "génération perdue"?
Stéphane Vallet
Sylvie Gracia, Une parenthèse espagnole, Verticales/Phase deux, 2009, 17, 50 euros.
BIBLIOGRAPHIE
Sylvie Gracia, L'été du chien, Gallimard (L'Arpenteur), 1996 ; Sylvie Gracia, Les nuits d'Hitachi, Gallimard (L'Arpenteur), 1999 ; Sylvie Gracia, L'ongle rose, Verdier, 2002 ; Sylvie Gracia, Regarde-moi, Verticales, 2005.
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