PARAVENT JAPONAIS
Je me suis longtemps shooté au bonheur.
Je gardais toujours le garrot autour de mon bras, comme une marionnette froissée.
Des cargaisons d’étoiles implosaient sur mon écran.
J’entendais des hurlements dans la nuit, puis des bruits de pas martelés comme les touches d’un clavier mécanique.
Je ne comprenais pas pourquoi les images de guerre qui me hantaient se nourrissaient de la réalité du monde.
J’avais l’impression de n’être ni dans la réalité, ni dans le monde.
Simplement un type en sursis, flottant entre deux mégots égarés, avec des pupilles en tête d’épingle qui se déformaient, comme les stigmates d’une vie passée à rêver.
Un rideau de mémoire m’enveloppait, et il m’arrivait de suffoquer.
J’avais un revolver factice que je m’enfonçais dans la bouche, comme on fait des pipes à la mort.
Je tirais des coups en douce, entre deux correspondances, toujours en bout de ligne.
La nuit se refermait sur moi.
Je me contentais de hocher la tête avec des rictus déchirés.
Des oiseaux braillaient, mais c’était dans ma tête.
Je me désaccordais, comme une teinture d’automne.
Le brouillard enveloppait mes pensées.
J’avais l’impression d’être ivre, mais ce n’était que de la mélancolie.
Brume de tristesse dans la pâleur de l’aube.
J’avais passé la nuit hors de mon espace mental, dans une espèce d’agitation fébrile, et cette ivresse n’était que l’écume d’un mal dont je n’arrivais pas à me soustraire. Je savais ce qui m’attendait, comme dans une pièce sans intrigue.
Mes grimaces étaient vaincues d’avance.
Je passais ma vie à revivre ce que je n’avais pas vécu.
Je m’imaginais au bord d’une piscine au bleu transparent, un verre d’anisette à la main.
Les rayons du soleil dévoraient ma peau.
Mes lunettes de travers tamisaient la lumière du jour.
Des coqs chantaient au-delà des collines écrasées de chaleur.
Un vent léger caressait mes joues.
Des enfants jouaient à la guerre, avec de vraies armes.
J’essayais de sauver des insectes de la noyade, mais c’est moi qui me noyais.
Je n’arrivais pas à saisir la turbulence de mes rêves.
Personne sur la balançoire.
Les souvenirs s’effaçaient.
Quelques grillons chantaient derrière les grillages.
Je m’efforçais de donner une cohérence à mes pensées.
Le soleil achevait de me dévêtir.
Un enfant appela sa mère, parce qu’il ne voulait pas mourir.
Je me cachais derrière un paravent japonais.
Je pris une pipe à eau.
La première bouffée du matin.
L’herbe en feu dans ma gorge. J’essayai de ne pas aboyer, mais des chiens toussaient dans le lointain.
Et le vent devint violent, comme avant un orage qui n’arrive jamais.
Je saluai les mouettes au dessus de ma tête, et les araignées du plafond.
Puis, je claquai mes volets.
Stéphane Vallet
Ce texte est paru, sous une autre forme, dans la revue Rue Saint Ambroise, n°11 (printemps 2003).
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