BOTHO STRAUSS ET LUC BONDY DANS LE CHAOS DU DESIR
Plus noir que du Shakespeare, gothique comme du Marilyn Manson, gore comme un film de Darios Argento, Viol est aussi du théâtre (et du théâtre dans le théâtre). Botho Strauss, l'auteur le plus joué en Europe, a puisé dans l'horreur sanglante de Titus Andronicus, du grand William, pour y extraire, en dix-sept tableaux, une vision glacée et désespéré du monde.
L'essence de cette cruauté ordinaire, l'ivresse sans limite du désir, et la volonté de puissance sont subtilement mis en scène par Luc Bondy, surtout dans la deuxième partie du spectacle, ponctuée par une scène finale d'une cruauté implacable, qui claque comme un coup de fouet et un avertissement : ne voulons tous pas être "l'empereur de Rome"?
On n'épargne rien au spectateur de cette violence contagieuse : viols, meurtres, infanticides, mutilation, cannibalisme, comme dans ces thriller américains à gros budgets. Parfois, les acteurs interviennent dans la pièce, commentant leur rôle à la télévision en prime time : une jeune femme (Marina Foïs) les dirige dans Titus Andronicus.
Cette pièce marque le grand retour de deux "bêtes de scène" : Gérard Desarthe (Titus Andronicus, Général) et Christine Boisson (Tamora, reine des Goths). Le premier (impresionnant) avait disparu des planches pour se consacrer à la mise en scène. Et on n'avait pas vu la reine Christine, comédienne du vertige, depuis trop longtemps ; sa prestation, sensible et animale, électrise ce grand guignol sanguinolent, et lui donne un supplément d'âme (damnée).
Entre ces deux personnages, ivres de vengeance, se noue un lien d'horreur qui détruira tout. Titus, général victorieux de la guerre contre les Goths a perdu beaucoup d'enfants au cours des combats. Pour apaiser sa colère et satisfaire les âmes errantes, il sacrifie le fils préféré de Tamora, la reine retenue prisonnière, mais qui finira par monter sur le trône impérial aux côtés de l'empereur Saturnin (Marcia Di Fonzo Bo, vraiment formidable!), piètre orateur, sans cesse manipulé, et lui même manipulateur.
Lavinia (Dörte Lyssewski, extraordinaire!), fille de Titus, sera violée et mutilée par deux fils de Tamora. Ils lui coupent la langue et les deux mains pour qu'elle ne puisse désigner les coupables. Son corps sera abandonné, enveloppé de plastique, dans une grosse poubelle verte. Elle errera, muette à jamais, gantée de prothèses en acier. Et lorsque Titus, son père, lui demande d'écrire le nom de ses bourreaux sur le sable à l'aide d'une cuillère maintenue dans sa bouche (dans la pièce de Shakespeare, elle les donne), elle écrit : "Lavinia est torturée de désir. Lavinia veut vivre."
Il n'y a plus d'innocents, et plus d'innocence. C'est ce que semble dire Botho Strauss. Une violence diffuse et contagieuse s'étend sur le monde, et en chacun de nous. Et le désir de puissance se niche même dans le coeur des enfants.
Stéphane Vallet
Viol, d'après Titus Andronicus de William Shakespeare, de Botho Strauss, mise en scène par Luc Bondy, Odéon-Théâtre de l'Europe, Ateliers Berthier, 8 boulevard Berthier, Paris 17, métro Porte de Clichy. Jusqu'au 19 novembre 2005, du mardi au samedi à 20 heures et le dimanche à 15 heures.
Botho Strauss, Viol d'après Titus Andronicus de Shakespeare, L'Arche (Scène ouverte), 2005, 11 euros.
site internet d'un hypocondriaque :)
Rédigé par : atmanoun | 22/10/2005 à 16:48