Un homme qui préfère la compagnie des chats à celles des humains ne peut-être foncièrement mauvais. Ce fut le cas de l'essayiste et écrivain sicilien Nino Savarese (1882-1945), qui pensait être un "écrivain maudit" : "J'ai marché sans compagnon sur le sable, écrivit-il, et le vent effacé mes traces." Redécouvert en Italie à la fin des années 80, il devint très populaire, et les six éditions de Chatterie depuis 1989, démontrent qu'un écrivain peut revivre après sa mort.
Publié pour la première fois en 1925, Chatterie est un drôle de livre, un peu suranné, qui fait figure aujourd'hui de conte philosophique, et le place aux côtés des plus grands auteurs de la littérature transalpine, comme Italo Calvino, dont il est l'un des précurseurs. Il est paru, il y a quelques mois en France, grâce aux éditions La fosse aux ours, nom prédestiné pour cet ours de Savarese qui transforme en chat son héros : le prince Daineo di Ballanza conserve apparence humaine, mais adopte un comportement félin.
Son "Excellence" de père décide de le faire partir en voyage "éducatif", sous la garde du professeur Epicarmo Gorgias et d'un "laquais raffiné". Le comportement animal du prince, et sa "sauvagerie" dans un monde où chaque geste est ritualisé, choquent "la bonne société". Comme Vittorio Gassman dans Parfums de femmes, de Dino Risi, le prince, ivre de femmes, aime se tenir "de préférence dans les endroits où les femmes étaient concentrées et où leur parfum était le plus intense.", ce qui ne manque pas de courroucer le Professeur, bien excité en réalité : "Dans la nature humaine, la chair a aussi sa juste valeur, mais c'est plutôt à l'esprit que revient le rôle de la satisfaire, car en le négligeant on plonge sa conscience dans un état fort douloureux."
Daieno devient celui dont la présence et la différence inquiètent. Le prince lutine vigoureusement une servante en public sans se soucier du regard des autres. Il griffe la belle et pudique Dusolina, nièce d'un cardinal, dont il s'est épris. Il drague la Reine, dont il devient l'amant dans une danse langoureuse : "belle la reine !", se contentera t-il de dire à ses gardiens. Jusqu'à l'ultime métamorphose.
Critique sociale, réflexion sur la nature humaine et le refus des différences, portée par une écriture riche et poétique, Chatterie est VRAIMENT à découvrir. Le livre d'un écrivain qui aimait les femmes...et les chats. D'ailleurs, à l'enterrement du héros, seules les femmes viendront. Tout comme dans le film de François Truffaut.
Stéphane Vallet
Nino Savarese, Chatterie, traduit de l'italien par Monique Baccelli, La Fosse aux ours, 2005, 17 euros.
Cet article est paru, sous une autre forme, dans le numéro 1 (automne 2005) du magazine Trésor.
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