L'été venait mais c'était trop tard parce que, bah, c'était la rentrée : le Pays retrouvait les journaux gratuits et y lisait sa terreur en fronçant les transports en commun, en commun le Pays lisait l'escroquerie le matin puis devisait le jour au coeur de fin des silences et des indignations de grande vacance, le feu, on avait vu le feu, de sa récente obscurité le Président promettait de faire toute la lumière, ce qui était encore plus dérisoire qu'à l'habitude, on avait vu le feu et on verrait le froid, plus tard, c'était certain, des mecs crèveraient de froid comme d'autres s'étaient noyés, grillés, plantés en avion lourd, on avait vu le feu et l'eau éteignait, l'Amérique montrait au monde effrayé ce qu'elle était, une Mère sévère et pudibonde mais morcelée et oublieuse, ouais, morcelée en parts très diverses, là-bas déjà il commençait à ne plus y en avoir, de Concorde - l'inverse absolu de la Concorde étant, selon l'Oeil, des hommes qui tirent sur des flics et des flics qui tirent sur des hommes, et Versa n'était pas certain que, à l'abri de tout, Vice-Théorise-Le-Courage ne verrait pas une telle situation au pays comme une bénédiction puisque Dieu et le respect qu'on lui devait était dans pas mal de choses d'Amérique et d'ailleurs -, ouais, les blancs du monde avaient la trouille, le pays avait la trouille et en souffrait à la longue, le pays ne supportait plus de ne plus avoir de souffle, alors, alors il voulait changer de système, quoi que ce soit, quoi que ce soit ferait l'affaire, on ferait une Nouvelle République, on reviendrait à une ancienne, il y aurait des mecs pour ça, des Tribuns, on attendait ça, on ne demandait plus que ça, d'ailleurs, des Tribuns, et on se foutait bien des fiotes, pas ceux qui avaient peur, non, ceux qui n'étaient pas assez durs, dans un sens comme dans l'autre, l'ancien le nouveau, ceux qui avaient une petite gueule, la mâchoire ronde, le sourire sans carnasse et la main calme, finie la pédale, on allait voir des mecs qui ont des couilles s'attaquer à la gorge et il n'en resterait qu'un - si jamais ils venaient à être plusieurs - et celui-là serait le Père, ouais, le Pays avait besoin, demandait, réclamait, hurlait même dans les portugaises de Vice la nécessité d'un Papa qui donne des claques dans la gueule, commande et gesticule, démontre et sèche, ouais le Pays ne voulait plus d'histoires ni de rêves, le Pays voulait de l'ordre et un chef, pas un héros, un chef, aussi, il n'y en avait plus, de héros, le dernier, l'Intégré, avait des cannes déjà anciennes et les défis n'étaient plus ce qu'ils avaient été quand le Pays était Champion, monde et continent, quand il y avait la Concorde, tu sais, Versa, dit Vice, copains de toutes les couleurs, unis par leurs pieds, ouais, il n'y avait pas plus de héros dans l'oeil de Versa que dans celui du pays alors que Lance était désormais un Commandeur fêlé pour Vice, le visage jeune d'un Consul qui finirait à sa manière, titubant d'oxygènes sanguins nombreux, entre Oaxaca et Parian à aimer une ombre, sa Gloire passée et noire, après avoir fait la preuve qu'il avait accepté de se détruire pour toucher le soleil, l'Histoire, quand les nases de toutes les nations s'accordaient à faire leur travail en toute honnêteté, ce qui n'avait aucun intérêt au spectacle, ils ne l'ignoraient pas mais avaient peur pour leur santé : est-ce qu'un mythe se construit avec le souci de sa santé, je te le demande, Versa, je te demande si l'Histoire, la belle, drames et triomphes, s'écrie dans la peur de se perdre, bien sûr que non, bordel, bien sûr que le corps, là-dedans, est un accessoire qu'on utilise sans crainte de ce qu'il adviendra de lui puisque ce n'est pas ça qui compte, puisque le corps et se préservation n'est jamais, je te le dis, jamais une finalité sinon laquelle, Versa, laquelle ? Un héros, c'est un mec qui surplombe l'humanité par la grandeur de son désintérêt, non de l'argent, mais de sa vie physique, c'est un droit inaliénable de l'homme que de crever si cela lui semble nécessaire... Si un mec refuse de se mettre en danger, alors le mieux pour lui, c'est qu'il soit employé de banque, pas cycliste, pas alpiniste, pas pilote, merde, le Pays ne voulait plus de mythes, non, plus d'épopées ni de révolutions, le Pays ne voulait plus qu'un Sauveur dont le pouvoir écraserait tout et qui mettrait en joue l'obscurité, l'intime, le danger et ses vecteurs hommes à défaut de ses éléments de nature : il y avait eu le feu, il y avait la pluie, l'orage, il y aurait le froid, et les hommes-risques de toujours crever dégueulasses et douleur or les pays avaient la frousse des dégueulasses et des douleurs qui, à l'occasion, trouveraient bien crânes où loger quelques balles, il convenait de se parer.
mathieu diebler
collages stéphane vallet
quel pessimisme mais quel beau texte surtout la fin. il n'y a rien de plus sublime que les chutes qu'on écrit mais seulement quand on écrit.amicalement
Rédigé par : elisabetha | 07/09/2005 à 21:19
Très beau texte, regard critique sur notre temps. Bravo
Rédigé par : Edson | 08/09/2005 à 11:45
1) d'accord avec le goût de la chute, boucler la boucle sans l'avoir voulu, attendre qu'elle surgisse de vous, c'est bien un des trucs les meilleures, 'une satisfaction', comme un cercle... en écriture.
2) le pessimisme serait un problème occulaire ? Pas impossible.
2) merci en général
md
Rédigé par : mdiebler | 09/09/2005 à 07:04
Question : le pessimisme est-il un problème ( oculaire ou non ) ou une opportunité à bousculer les méninges de l'autre?
Rédigé par : martha | 26/09/2005 à 13:56
Martha, peut-être que le pessimisme épargne à son porteur des chutes qui n'arrivent qu'aux optimistes (blague de pessimiste ah ah ah) ?
S'il n'est qu'un fardeau, il se peut que le pessimisme soit un problème, s'il est un pivot sur lequel faire tourner son point de vue, alors je ne le pense pas 'problème', c'est optimiste, ça, non ?
md
Rédigé par : mdiebler | 03/10/2005 à 19:17