Coeur ouvert
L'infirmière danse au dessus de ma carcasse.
Elle se penche sur moi : "Je dois ENCORE vous sucer le sang !"
Un arc-en-ciel dans la salle de réveil.
Justaucorps bleu et vert, chaussons rouges, cape jaune fluo, elle cherche une veine.
Mes bras sont violacés, couverts d'ecchymoses, comme le reste de mon corps.
Pupura.
"-On dirait des coups de BATTE DE BASE-BALL, me dit-elle.
-Faut dire qu'elles COGNENT fort, vos collègues !"
Le soleil passe au travers un vasistas, comme dans un filtre de lumière.
"-Et si vous donniez un chiffre, entre un et dix, à votre douleur ?
-Huit et demi!"
J'ai dit ça sans réfléchir.
"N'hésitez pas à APPUYER sur votre POMPE A MORPHINE, ajoute t-elle. C'est fait pour ça !"
Je devine ses seins.
Un cul à se damner.
C'est l'infirmière de ma vie.
Les blouses blanches conspirent autour de mon brancard, box numéro 13.
Mon voisin est AVIATEUR. Il pilote de grands oiseaux noirs. Il m'en parle, entre deux évanouissements.
L'infirmière bariolée change mes poches de perfusion.
Ses yeux sont d'un bleu irréel, comme si la vie s'enfuyait déjà.
Elle ferait BANDER un mort.
La fièvre me plonge dans un délire de persécution. J'ai des hallucinations.
Un malade se redresse sur son lit, au milieu d'un bad trip. Il arrache brutalement la sonde d'intubation coincée au fond de sa gorge.
"NE FAITES PAS ça, Monsieur !", crie l'infirmière.
Elle est déjà près du patient, suivi d'un interne et d'une anesthésiste.
Le malade se calme, enfin.
L'infirmière bariolée de nouveau contre moi.
Tout contre.
L'odeur de sa sueur.
L'odeur de ma peur.
J'appuie sur ma pompe (à morphine).
Elle glisse sa main sur mon front. Envie de lui rouler un patin, de la caresser TOUT partout.
L'aide-soignant est venu la rejoindre, petit gros joufflu, qui roule les R.
Il fait méticuleusement ma toilette, sans confondre le gant du bas et celui du haut. Et rase mon corps avec un jetable bon marché.
"Il a déjà servi, dit-il. Non, je plaisante, con!"
Il enduit ma peau, même mon TROU DU CUL, d'un liquide désinfectant.
Je chie VRAIMENT de trouille.
Le gros m"apporte une bassine.
Je me vide entièrement. Ca déborde de partout.
Il faut recommencer TOUTE ma toilette.
"Fais chier mec, putain CON !"
L'infirmière bariolée prend ma main, tremblements de mes doigts.
J'appuie sur ma POMPE.
Un interne débarque. Il vient m'expliquer pour la GRANDE opération.
Tronche de premier de la classe, binocles de myope, il a apporté du papier et un stylo bille. Il dessine des croquis censés m'expliquer la CIRCULATION EXTRACORPORELLE. J'ai droit à des schémas. A des statistiques : "Pas plus dangereux qu'un Paris-Nice !"
Les brancardiers portent des masques bleus. Ils me poussent dans un dédale de couloir, sensation de m'enfoncer SIX PIEDS SOUS TERRE.
"T'as d'la chance d'aller au bloc, man, dit un des gars. Elles sont BONNES là-bas, les infirmières.
Les néons vitreux du plafond m'éblouissent.
Ma vie défile dans ce labyrinthe.
On croise une vieille femme sur un brancard. Elle se tord de DOULEUR : "Maman, maman. J'ai mal...Je vais MOURIR.
Je me sens partir, moi aussi.
Je ne reviendrais pas.
"Paris-Nice, mon CUL !"
Goutte-à-goutte de la perfusion.
Badaboum, badaboum.
Ca s'active autour de moi. Chaque geste me coûte. Des OMBRES dansent sur les murs. Des silhouettes se déhanchent.
Les portes de la salle d'opération se referment.
Ils vont m'ouvrir le COEUR.
Je cherche un dernier regard.
L'infirmière bariolée me sourit.
Stéphane Vallet
Coeurs par Juliette Jouannais
Spéciale dédicace aux médecins et aux soignants de l'hôpital Foch (Suresnes).
APPLAUSE
Beau texte...on a envie de connaître la suite.
Rédigé par : JLB | 11/07/2005 à 01:02
Racontez-nous le pendant et l'après et bravo pour les collages! A quand une galerie de ces oeuvres?
Rédigé par : martha | 12/07/2005 à 13:53
Oui forcément, une suite...
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Châpeau MR L'inquiet....
Rédigé par : lSARAH | 28/04/2009 à 20:23