Entretien inédit
LES SILENCES D'ALAIN CUNY Alain Cuny est au théâtre ce que Beckett est à la littérature.
Alain Cuny, né le 12 juillet 1908, à Saint-Malo (France), mort le 16 mai 1994, à Paris, traverse le siècle dernier avec des ailes de géant. Etudiant aux Beaux-Arts, affichiste, il s'intéresse de très près au surréalisme et à la psychanalyse (il fréquente Lacan). Premier rôle au cinéma en 1939, dans Remorques de Jean Grémillon. En 1941, il monte une pièce : Le bout de la route, de Jean Giono. Marcel Carné assiste à la représentation et lui propose le rôle de Gilles dans Les visiteurs du soir (1942). Cuny devient célèbre. Un jeune premier. Mais malgré le succés, il préfère les planches, et devient l'interprète principal de Paul Claudel. En 1956, il est Frollo dans Notre Dame de Paris de Jean Delannoy. En 1960, rôle de Steiner dans La dolce Vita de Frederico Fellini, avec pour partenaires Marcello Mastroianni, Anouk Aimé et Anita Ekberg. Il retrouve le réalisateur italien , en 1969, sur Satyricon. En 1974, il joue dans Emmanuelle, de Just Jaeckin, aux côté de Sylvia Kristel, et de la jeune et envoûtante Christine Boisson. Alain Cuny se fait plus rare. En 1978, à 70 ans, il tourne dans La chanson de Roland de Frank Cassenti aux côtés de Niels Arestrup et de Jean-Claude Brialy. Dix ans plus tard, il tient le rôle de Louis-Prosper Claudel dans Camille Claudel, de Bruno Nuytten. Ultime clin d'oeil aux étoiles, il réalise l'un de ses vieux rêves en 1991, à l'âge de 91 ans, en mettant en scène son premier long métrage, L'Annonce faite à Marie, de Paul Caudel, son vieux complice.
Jouer ou ne pas jouer ?
En octobre 1985, Alain Cuny, pressenti pour un rôle dans Fool for Love de Sam Shepard, mis en scène par Andréas Voutzinas, hésite longtemps avant de se rétracter. Jouer ou ne pas jouer ? Il m'attend en terrasse de la Closerie des Lilas. Jeune envoyé spécial de Acte 1 Magazine, mensuel de théâtre (1985-1986) devant monstre sacré. Onze heures du matin. Soleil d'été indien. Il a perdu une dent pendant la nuit. Il me la montre dans un mouchoir en tissus. Nous commandons deux bières brunes pression.
Vous étiez annoncé dans Fool for love de Sam Shepard...Finalement, vous dites non. Que s'est-il passé ?
Alain Cuny : Je ne voudrais pas parler de cela.
Pourquoi cette indécision?
Alain Cuny : Ca a souvent été comme ça...
On a l'impression que quelque chose vous gène...
Alain Cuny : Non, je ne crains pas...Je ne sais pas quoi vous dire. Je suis venu par scrupules. Parce que j'avais dit que je viendrai. Je n'ai pas eu le courage de décommander.
Pouvez-vous me parler de votre métier d'acteur ?
Alain Cuny : Quand j'étais très jeune, je me consacrais à la peinture. J'ai fait des affiches de cinéma. Je ne savais pas que je voulais être acteur...Pour le moment, tout est douloureux pour moi-même...
Mais vous avez toujours envie de jouer au théâtre ?
Alain Cuny : Parfois oui...J'ai envie de jouer au théâtre.
Vous avez de bons rapports avec les metteurs en scènes ?
Alain Cuny : Ils sont tels qu'on les connaît. Plein de...
Avez-vous l'appréhension de jouer ?
Alain Cuny : J'ai toujours été anxieux de jouer. Mais quand j'ai joué, quand je joue, c'est un soulagement. Il peut y avoir une satisfaction. Peut-être d'atteindre ce que l'on croit être une vérité de soi.
Des personnages que vous avez interprété vous ont-ils marqué ? Je pense à Steiner, le philosophe qui se suicide avec ses deux enfants, dans La Dolce Vita ?
Alain Cuny : Je ne suis pas pessimiste comme lui. Je suis au contraire émerveillé par l'attrait et le charme.
Lautréamont a écrit : "Si les hommes étaient heureux sur cette terre, c'est alors qu'il faudrait s'étonner"...
Alain Cuny : Je crois au contraire que la joie et le bonheur sont tout disposés à accourir.
Alors vous aimez la vie ?
Alain Cuny : Je voudrais avoir dix vies à recommencer.
Vous intéressez-vous à la psychanalyse ?
Alain Cuny : Je connais pas mal de gens de ce métier. J'ai bien connu Lacan. Je l'ai connu dans ma jeunesse. Du jour où je l'ai rencontré, j'ai toujours continué à le voir. Au cours de ses séminaires...ou chez lui, au cours de relations amicales. Ces gens-là apportent beaucoup de choses. Ils vous apportent un éclairage.
Comment vivez-vous actuellement ?
Alain Cuny : Je vis tout seul. Je reste longtemps chez moi. Parfois, il y a des amis, d'anciens amis qui viennent me voir...
On dit que vous avez un projet avec L'annonce faite à Marie, de Claudel ?
Alain Cuny : C'est un projet qui fait partie de ce que je voudrais encore réaliser. Je l'ai déjà jouer, oui...J'en ai surtout composé le découpage et prévu sa réalisation. C'est un projet majeur pour moi.
D'autres projets vous tiennent à coeur ?
Alain Cuny : Tout Claudel me tient à coeur.
Qu'est-ce qui vous fait le plus plaisir ?
Alain Cuny : Tout le fatigue actuellement. Je suis...
Parler aussi vous fatigue ?
Alain Cuny : Oui. En général, tout échange devrait porter ses fruits. Mais je n'ai pas l'esprit libre. Je suis préoccupé.
Vous m'avez parlé d'un voyage à Saint-Malo, votre ville natale...
Alain Cuny : Le vent et le sable me font beaucoup de bien. C'est d'un grand secours pour moi.
Propos recueillis en octobre 1985 par Stéphane Vallet
Photo de Alain Cuny par René Jacques
Merci pour cette itw. J'ai toujours aimé Alain Cuny, sa justesse, sa réserve. Et Steiner est un personnage marcant.
Cuny je le croisais dans la même ...épicerie, a Port Royal, angle glacièere. Quelques mots échangés, gentils, respectueux et pleins de pudeur.
Rédigé par : balixto | 26/06/2005 à 12:47
Ces mots ont plus de vingt ans, et sont pourtant très sensibles. Comme si on y était. On ne sait pas trop s'il s'agissait d'une géene de la part de Cuny, d'une retenue ou d'une difficulté, et en même temps, je ne sais pas si c'est dans ta façon de bien nous mettre en situation, mais ça rend bien sa présence, une solitude et peut-être du désarroi ou des regrets ? Et un amour de la vie qui sentait approcher la faim ?
Merci pour ces moments.
Rédigé par : Maridan' | 21/03/2006 à 04:25
bonjour,
merci pour ce témoignage !
Savez vous qu'il exite un CD avec la voix de Alain Cuny récitant des textes de grands auteurs mis en musique par Jack Yantchenkoff?
renseignements sur
www.deltavision.fr
Rédigé par : chenu | 19/11/2006 à 13:41
qui a vu et entendu,dans la cour d'honneur du palais des papes, Cuny et Casarès dan le gigantesque Macbeth monté par vilar s'en souvient pour le restant de sa vie - ces voix, à nulles autres pareilles, ces corps sortis de l'autre côté de la vie - qui a vu Cuny dans le Tête d'Or de Claudel que monta J.L. Barrault, s'en souviendra toute sa vie - de tels comédiens sont irremplaçables - ils traversent l'éternité dans le souvenir des hommes - merci Cuny ! merci Maria ! pour ces heures
avignonnaises de mes 20 ans -jean-claude koutchouk
Rédigé par : koutchouk jean-claude | 20/02/2007 à 19:09
www.deltavision.fr ? Très pénible expérience d'entendre la voix d'Alain Cuny à travers cette musique d'ascenceur. Le type qui a écrit ça n'a rien travaillé, rien réfléchi, il a baclé une musique pauvre sur laquelle il plaque l'immense voix . Même le mixage est vulgaire: la voix peine à percer le mur de basses. Un ver de terre assis sur une étoile.
Rédigé par : Laizeau | 05/10/2007 à 00:10
Je reprend le même commentaire que koutchouk JC du 20/02/2007J'ai vu ces deux spectacles et je suis marqué pour la vie . Miscellanées
blogger.com CAZALS Christian
Rédigé par : CAZALS Christian | 01/05/2010 à 10:25